Revenir à Avant 1150

 

 

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La civilisation tokharienne 

 

par Serge Papillon

 

 

(NB : la ville d'Agni citée dans ce texte - qui a donné l'adjectif agnéen appliqué à un peuple et à une langue-, est la même ville que Yanqi ou Karashar. De même Kroraina, c'est Loulan ; le Koutchi c'est le pays de Koutcha ou Kuqa - qui de même a formé le terme koutchéen, appliqué lui aussi à un peuple et à une langue. La langue appelée tokharien A est également appelée agnéen et le tokharien B correspond au koutchéen.)

 

 

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Le bassin du Tarim était occupé par des peuples d’origines diverses. Il y avait des Tokhariens et des Saces, ces derniers appartenant à la famille iranienne, qui était indo-européenne mais se distinguait nettement de la famille tokharienne. Les locuteurs du koutchéen paraissent avoir été sédentaires depuis une époque assez reculée, quelques siècles avant notre ère, tandis que les agnéanophones étaient d’anciens nomades venus dans le bassin du Tarim au cours du deuxième siècle avant notre ère. La civilisation de Sérinde n’était donc pas uniforme. Cependant, les différences se sont forcément réduites au fil des siècles, les différents royaumes étant en contact permanent. Le Beishi, au sixième siècle, affirme que « les mœurs et les produits du pays [de Khotan] sont sensiblement les mêmes qu’au Koutchi ». Selon un autre texte chinois, au cinquième siècle, les usages, le mariage, les funérailles et les productions du Koutchi étaient similaires à ceux de l’Agni. 

Cette civilisation ne sera jamais aussi bien connue que celles des Grecs, des Indiens ou des Chinois. Elle s’est éteinte il y a un millénaire et personne ne s’est soucié d’en garder le souvenir. Pour l’étudier, on dispose d’abord des sources chinoises. Ce sont des récits de voyageurs, comme Xuanzang, ou des notices insérées dans les annales dynastiques (shu en chinois). Nous devons déplorer la perte d’un ouvrage essentiel. Après la soumission de la Sérinde au septième siècle, l’empereur de Chine envoya des commissaires dans les différents royaumes pour s’informer de leurs coutumes et de leurs productions. Un haut dignitaire, Xu Jingzong (mort en 672), fut chargé, avec une équipe d’archivistes, de la rédaction d’un traité qui comprenait des cartes. Il n’a malheureusement pas été conservé. 

Les textes en langue tokharienne ont presque tous été trouvés dans des ruines de monastères et se rapportent donc à leur activité. Il n’y a guère que les laissez-passer de caravanes qui aient été écrits en dehors de tout contexte religieux. C’est aussi le cas de quelques documents koutchéens conservés à Saint-Pétersbourg. Ils sont de nature administrative. Cinq d’entre eux ont été acquis dans la région de Koutcha par les frères Berezovski, lors de leur mission de 1905-1906. Ils ont été étudiés une première fois par Sylvain Lévi en 1913 et une deuxième fois par Georges-Jean Pinault en 1998. 

Les documents du Kroraina, en revanche, sont tous laïcs. Ils permettent de brosser un tableau assez riche de la société tokharienne au sud-est du bassin du Tarim, mais certaines informations en sont absentes, comme le calendrier des fêtes. La grande majorité des documents proviennent du site de Niya. Il s’y trouvait une oasis qui était appelée Cadota. C’était un petit royaume tombé sous la dépendance du Kroraina, situé plus à l’est. C’est ce site qui donne la meilleure idée de ce qu’était l’architecture civile et laïque des habitants du bassin du Tarim. 

Les cimetières d’Astana et de Karakhoja, près de Tourfan, ont livré 1586 documents en chinois, dont 403 datent de la dynastie des Qu et 1020 datent de la période des Tang. On y trouve beaucoup d’informations sur la vie politique, sociale ou économique du royaume de Tourfan. Mais puisque l’influence chinoise était importante à Tourfan, ces documents sont à considérer avec prudence. Une influence venue de l’est, alors que le reste du bassin du Tarim était tourné vers l’ouest, donne à Tourfan une place à part. Ces documents se trouvaient dans des cimetières parce que les Tourfanais enveloppaient parfois leurs morts dans des linceuls constitués de vieux chiffons ou de vieux papiers administratifs. Cette coutume-là n’avait rien de chinois ! 

 

Loulan, désert du Taklamakan, vue actuelle Loulan (photo d'A. Stein, Serindia, volume 1 figure 93)

Loulan (Kroraina), cité en ruine dans le désert du Taklamakan

 

 

 

1.L’organisation militaire.

Pour tous les Etats présentés dans le chapitre 96 du Hanshu, Ban Gu donne le nombre de foyers, le nombre d’habitants et le nombre d’hommes en état de porter les armes. Ces chiffres sont à prendre avec prudence. Le Koutchi était de loin le premier royaume du bassin du Tarim, grâce à ses 81 317 habitants. L’Agni arrive en deuxième position, avec 32 100 habitants. Le nombre d’habitants par foyer, pour ces deux pays, est respectivement de 11,6 et 8. Pour le Wensu, ce chiffre est inférieur à 4, variation plutôt étrange qui doit refléter l’imprécision des méthodes de recensement. Le troisième royaume était le Bharuka, avec 24 500 habitants. Le Kroraina possédait 14 100 habitants. Il y avait 21 076 personnes en état de porter les armes au Koutchi, soit la moitié de la population masculine, ce qui est un chiffre vraisemblable. Du côté des Saces, les royaumes de Khotan et de Kachgar possédaient respectivement 19 300 et 18 647 habitants. 

Ban Gu s’était basé sur des rapports rédigés par des généraux chinois décrivant la situation militaire des Contrées Occidentales. C’est pourquoi le nombre d’hommes en état de combattre est donné. Il y a également, pour chaque royaume, la liste des principaux dignitaires militaires. Ces renseignements sont certes intéressants, mais le problème est que ce sont des équivalents chinois qui sont donnés aux titres tokhariens de dignitaires. Presque toujours, il y a un, deux ou trois hou. Dans la Chine des Han, c’était le seul titre aristocratique inférieur à wang « roi ». Nous admettrons qu’il a été utilisé par traduire le titre tokharien yâpko, qui était le premier titre aristocratique inférieur à « roi ». De plus, yâpko se dit xihou en chinois, or la deuxième syllabe de ce mot est écrite avec le même caractère que hou

Ce titre apparaît à deux reprises dans les documents de Saint-Pétersbourg. Il semble que les yâpko aient été des sortes d’adjoints du roi. Georges-Jean Pinault a traduit ce terme par « grand duc » ou « vizir ». Dans l’histoire des Tokhariens, il est question de yâpko qui étaient des frères du roi. Apparemment, le souverain déléguait une partie de ses pouvoirs à ses frères cadets, et à son décès, l’un d’eux pouvait hériter du trône. 

Au Koutchi, il y avait d’abord un commandant suprême, puis un assistant, un fuguo hou « yâpko soutenant l’Etat », un anguo hou « yâpko pacifiant l’Etat », un jihu hou « yâpko attaquant les nomades », un quehu duwei « commandant repoussant les nomades». Les sédentaires du bassin du Tarim ont constamment vécu sous la menace des nomades, qui venaient piller leur territoire. C’est évident au premier millénaire de notre ère, quand ces nomades étaient des Altaïques, et c’est également vrai avant notre ère : les Tokhariens sédentaires étaient confrontés à des Iraniens et des Tokhariens nomades, les Toukréens. Ban Gu mentionne également plusieurs dignitaires qui sont « de droite » et « de gauche ». Ainsi, il y a les capitaines (jun) de la cavalerie de droite et de gauche. Le terme jun signifie normalement « prince » ou même « souverain ». Les Tokhariens avaient un dualisme droite-gauche, la droite étant favorable et la gauche défavorable. Pour manger, ils utilisaient exclusivement la main droite, l’autre main étant réservée à des activités moins nobles. Ceci explique que l’adjectif « droit », swâlyai en koutchéen, ait été construit sur le verbe « manger », swâtsi à l’infinitif. A ces dignitaires, s’ajoutaient deux chefs de milliers pour les divisions de l’est, de l’ouest, du sud et du nord, et quatre interprètes en chef. 

Il y aurait beaucoup à dire sur ces chefs de milliers (qianzhang). Le Hanshu mentionne également des chefs de centaines, à propos des Contrées Occidentales dans leur ensemble. Cela signifie que les Tokhariens avaient adopté une organisation militaire très répandue en Asie centrale, qui existait chez les Xiongnu et chez les Perses achéménides : les hommes étaient répartis par groupes de dix, dix de ces groupes formaient une « centaine » et dix « centaines » formaient un « millier ». Chacune de ces unités avait un chef : il y avait des chefs de dizaines, de centaines, etc. Les empires comme ceux des Xiongnu possédaient des unités de dix mille hommes, des myriades. Ce système a existé chez les Mongols, qui désignaient les myriades par un terme d’origine tokharienne, tumâne en koutchéen et tmân en agnéen. Le terme tokharien venait lui-même de l’iranien *tumâna- « grande mesure ». 

Les interprètes en chef ont été mentionnés puisque c’étaient eux qui étaient responsables des relations avec les autres pays, notamment avec la Chine. Le Hanshu précise également que les Koutchéens étaient habiles à fondre le fer. Ils pouvaient donc fabriquer des armes de bonne qualité. 

Les trois premiers dignitaires agnéens étaient des yâpko : le yâpko attaquant les nomades, le yâpko repoussant les nomades et le yâpko soutenant l’Etat. On remarque qu’ils étaient chargés de la lutte contre les nomades. Il en est également ainsi au Weixu, une cité- Etat de 700 foyers et 4900 habitants située à une quarantaine de kilomètres à l’est de l’Agni : les deux premiers dignitaires sont le yâpko attaquant les nomades et le commandant attaquant les nomades. Dans la plupart des autres royaumes, c’est le fuguo hou « yâpko soutenant l’Etat » qui est en tête des dignitaires, fonction certainement très importante mais plutôt vague. Une sorte de premier ministre ? L’explication de cette particularité est évidente : l’Agni, comme le Weixu, se trouvait en première ligne face aux nomades des Monts Célestes et des steppes. Les Agnéens étaient en contact presque direct avec les Wusun, qui étaient des voisins peu fréquentables si l’on en croit la description du Hanshu

Au sujet de l’Agni, on peut encore citer le jihu jun « capitaine attaquant les nomades », les deux jihu duwei « commandants attaquant les nomades » et les trois interprètes en chef. Il n’y avait pas de capitaine de la cavalerie, alors qu’il en existait à Weixu. Chez les Koutchéens, les Agnéens et les Kroraïnais, il y avait des dignitaires chargés de lutter contre le Jushi, c’est-à-dire contre les Toukréens qui venaient faire des razzias. 

On ignore si cette organisation a évolué durant l’époque bouddhique, et de quelle manière. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la fine fleur des armées tokhariennes était constituée par la chevalerie, comme d’ailleurs chez les Iraniens sédentaires, et que les chevaliers étaient des nobles. Ils étaient armés d’une longue épée, d’une lance et d’un arc rangé dans un étui, accompagné d’un carquois. L’épée était peut-être réservée à la noblesse, tandis que tout le monde pouvait porter un poignard. Dans les peintures koutchéennes, ils chevauchent sans étriers, alors que cette invention a commencé à se répandre au cinquième siècle de notre ère. 

Les chevaliers avaient certainement, comme en Sogdiane, où ils sont mieux connus, un sens de l’honneur et un goût de l’exploit élevés. Une peinture tourfanaise datant du septième siècle représente une scène de tournoi qui rappelle notre Moyen Age : un homme bardé de fer, sans doute à cheval et tenant une longue lance au bout de laquelle est fixé un drapeau, tourne le dos à une tribune où se tient une femme. A cette époque, l’existence des tournois est parfaitement attestée à Samarcande. Il ne faut pas pousser trop loin la comparaison avec la chevalerie du Moyen Age européen, car les nobles de l’Asie centrale étaient des personnes très raffinées. 

Un document de Saint-Pétersbourg acquis par un consul russe au Xinjiang, Petrovski, montre comment les frontières étaient surveillées. En voici une traduction : 

« Dans l’année 21 du roi Yâśe, dans une année du stoupa (?), dans le huitième [mois] et le vingt-et-un, l’Ancien du pays Wrau, le long de toute la frontière du pays, sur les quatre feux, ont réparti (sic) au loin le service en hommes. Voici les hommes pour le feu de Moksharâma : (suit une liste de 27 noms dont l’un est raturé). Voici les hommes pour le feu Kwañye : (il y a encore 27 noms ; un cachet termine chaque liste). » 

On reconnaît le système d’alarme élaboré par les Chinois. Il utilisait des tours au sommet duquel des feux étaient allumés en cas de danger. Pour quatre tours, il y avait au total 108 hommes, ce qui est dans le bouddhisme un chiffre faste. Les 27 hommes de chaque tour devaient se relayer jour et nuit. Les noms propres Moksharâma et Kwañye étaient sans doute ceux des localités près desquelles les tours se trouvaient, où les hommes étaient mobilisés. Un titre de dignitaire koutchéen apparaît dans ce texte : « ancien du pays », ypoy-moko en koutchéen. Le scribe a conjugué le verbe « répartir » au pluriel, comme s’il y avait deux personnages, l’ancien du pays et Wrau, mais il est probable que Wrau soit le nom du dignitaire. Dans les documents tokhariens, les fautes étaient courantes. 

Au Kroraina, il existait une administration militaire qui pouvait lever des impôts. Elle possédait ses biens propres : animaux, véhicules, machines de siège, etc. Elle mettait des chameaux à la disposition des fonctionnaires qui transportaient les taxes. 

D’après les sources chinoises datant du troisième au sixième siècle, la capitale du Koutchi possédait une triple enceinte. L’information la plus récente date de 521, année où le Koutchi envoya une ambassade à la dynastie des Liang du Sud (502-556), qui était installée à Nankin. Selon elle, l’enceinte extérieure était aussi grande que celle de Chang’an, laquelle avait 25 km de long. C’était beaucoup trop grand pour un tel royaume. Cette troisième enceinte a sans doute été construite après les deux premières pour protéger les territoires agricoles de la cité. Un tel rempart existait à Merv, Bactres, Samarcande ou Boukhara. 

Dès l’Antiquité, les sédentaires du bassin du Tarim, surtout au nord, ont pris l’habitude d’habiter dans des villages fortifiés que les Chinois qualifiaient de « villes ». Des paysans habitaient à l’intérieur de ces « villes » et travaillaient dans des champs situés aux alentours. Les récoltes et le bétail pouvaient être placés à l’abri des fortifications. C’est pourquoi quand le général Li Guangli, en -104, a emprunté la Route Nord, il n’a pas pu trouver le ravitaillement nécessaire : toutes les « villes » lui avaient fermé leurs portes. 

Selon les annales de la dynastie des Jin (265-316) : « Le peuple [du Koutchi] y habite dans des villes ». Au cinquième siècle, il y avait neuf « villes » en Agni. La capitale était cependant très petite : elle avait seulement un kilomètre de tour. Après sa soumission en 640, le royaume de Tourfan avait 22 « villes » et 30 000 habitants. Le nombre de « villes » était important pour une population aussi réduite : chacune n’abritait, en moyenne, que 1300 personnes. Ceci montre que la plupart n’étaient en fait que des villages fortifiés. 

Les Saces étaient également des « citadins ». Ainsi, d’après le Beishi, cinq grandes villes et plusieurs dizaines de petites villes dépendaient de Khotan, tandis qu’il y avait douze grandes villes et cinq petites villes dans le royaume de Kachgar, la capitale ayant cinq li de tour, soit à peu près 2 500 mètres. Xuanzang fait l’éloge des fortifications de Khotan, ville qui n’a selon lui jamais été prise. Elle se trouvait sur le site de Yotkan, à huit kilomètres au nord-ouest de l’actuelle ville de Khotan. 

Cette habitude de se retrancher derrière des fortifications n’était pas propre au bassin du Tarim. Au sujet du Khwarezm, région située au sud de la mer d’Aral, l’archéologue russe S. P. Tolstov a écrit : « Il est à remarquer que, dans la période antique, l’immense majorité de la population habite des villes fortifiées situées, en règle générale, sur le cours inférieur des canaux d’irrigation juste entre l’oasis et le désert. Ainsi, les villes fortifiées, à population artisanale et agricole, forment une chaîne continue qui protège les terres cultivées de l’oasis contre les attaques du dehors ». 

Il s’agit avant tout des attaques des nomades, auxquelles les sédentaires étaient exposés en permanence. A seulement deux jours de marche de la capitale du Koutchi, Xuanzang rencontra 2000 « brigands » turcs à cheval qui venaient de piller une caravane. On a ainsi l’impression que les nomades pouvaient se déplacer librement entre les cités et les établissements fortifiés. Le brigandage était en fait une activité normale des guerriers turcs : les annales des Sui rapportent qu’à chaque pleine lune, ils commençaient leurs déprédations. 

Le Hanshu mentionne des « chefs des villes », mais apparemment, ils ne jouaient guère de rôle dans la défense du royaume : cette tâche revenait surtout à l’administration royale. La défense était centralisée. 

Abrités derrière leurs fortifications, les Tokhariens sédentaires ont développé une civilisation brillante et raffinée, en contraste complet avec le monde rude des steppes. 

 

 

Miran MIII, A. Stein, Serindia

 

2.Le roi et l’administration.

D’après les annales des Wei du Nord, au cinquième siècle, « Le roi [du Koutchi] attache sur sa tête un ruban de soie multicolore qu’il laisse pendre en arrière ; il s’assied sur un lit à lions d’or ». Il s’agissait en fait d’un trône : à cette époque, les Chinois n’avaient pas de mot pour désigner les chaises, car ce type de meuble n’existait pas chez eux. La chaise, et donc le trône, est venue de l’Asie centrale. Les Chinois l’appelaient huchuang « lit barbare », et elle est devenue d’usage courant sous les Tang. L’association d’une ou plusieurs sculptures de lion au trône est confirmée par les textes koutchéens, qui utilisent l’expression shecaketstse asân « trône au lion ». Au Kroraina, quand on parlait au roi, on baissait la tête, de sorte que l’on ne pouvait plus le regarder. 

Les souverains avaient emprunté un titre à l’Inde, mahârâja « grand roi », traduit par orotstse walo en koutchéen (orotstse et walo signifient respectivement « grand » et « roi »). Leurs épouses étaient des « grandes reines ». Le nom de l’une d’elles figure dans une grotte de Kyzyl : « Grande reine du Koutchi, Svayamprabhâ ». Elle était l’épouse d’un roi qui s’appelait Tottika et qui aurait régné à la fin du sixième siècle. Quand on s’adressait à un roi (mais aussi à d’éminents dignitaires), on l’appelait « dieu », ce qui est sans doute encore une coutume empruntée à l’Inde. On aussi que les souverains koutchéens portaient le titre de ñaktents soy « fils des dieux ». Il est peut-être proprement tokharien et il existait chez les Kouchanes, qui ont pu le trouver chez les Yuezhi. 

Au chapitre 2, nous avons parlé de l’indivisibilité du groupe des frères vivant sous le même toit, dont la polyandrie est un corollaire. Il semble bien qu’elle se retrouve au niveau royal : les frères cadets du roi étaient de véritables vice-rois. C’était l’un d’eux qui lui succédait après sa mort. Une légende koutchéenne montre un roi qui veut partir en Inde pour visiter les lieux saints et qui confie le trône, ainsi que la garde de son harem, à son frère. Ce dernier, n’ayant pas le droit de toucher aux concubines, se châtre afin de prévenir les accusations calomnieuses. Cette légende est en fait d’origine iranienne, mais le thème du roi laissant le trône à son frère, qui n’existe pas dans la version originale, est apparemment koutchéen. Par ailleurs, les frères du roi ont probablement exercé les plus hautes fonctions au sein de l’administration. 

On connaît la désignation koutchéenne des eunuques : kucaññe ishcake. Il est l’équivalent du sanskrit tûbarikah, de même signification. L’adjectif kucaññe, dont la version agnéenne est kucim, se traduit par « impuissant, efféminé », et ishcake se réfère au corps humain. 

Des dignitaires sont souvent cités dans les documents koutchéens : il s’agit des ypoy-mokonta « anciens du pays » (ce terme a déjà été cité au singulier). Comme ils pouvaient agir collectivement, ils se constituaient probablement en assemblée. Ils jouaient des rôles variés. G.-J. Pinault suppose qu’ils s’occupaient de police et de justice. Nous avons vu un ypoy-moko chargé de la protection des frontières. Le terme « ancien » tout court (moko) était également un titre, moins important. Parmi les termes koutchéens de signification inconnue, comme par exemple ynaike, il y a sans doute d’autres titres. 

Xuanzang a rapporté que le roi du Koutchi et ses ministres se réunissaient le quinzième et le dernier jour de chaque lunaison, délibéraient des affaires de l’Etat et publiaient les décisions prises après avoir consulté d’éminents religieux. 

Les documents kroraïnais révèlent quelques titres comme ogu, le plus élevé, kâla (prince), camkura (protecteur) ou râjadarâga (gouverneur du royaume). Ce doit être ce genre de dignitaires que Xuanzang appelait « ministres ». Il existait deux conseils exerçant d’importantes fonctions judiciaires, les kitsaitsa et les guśura. Le deuxième terme provient au monde sace, où il signifiait « prince » ; il apparaît dans un document en sanskrit du Koutchi sous la forme guŚura. Les territoires conquis, comme celui de Cadota, étaient désignés par le terme de râja, et pour les administrer, le roi y envoyait des hauts dignitaires appelés râjadarâja ou râjadareya

De toute évidence, une lourde bureaucratie s’immisçait dans la vie privée des gens. On sait par exemple qu’à Tourfan, pour qu’un père puisse léguer de la terre à son fils, il lui fallait l’autorisation du roi. Un document koutchéen de Saint-Pétersbourg laisse songeur. Il donne simplement deux listes de noms d’hommes âgés (Śrây), les uns de la « nouvelle ville », les autres des « maisons ». Il semble que ces hommes aient habité des endroits particuliers, peut-être des maisons individuelles dans le deuxième cas - les habitations collectives étaient courantes dans les villes sogdiennes. Par une quelconque nécessité ? Par obligation légale ? En tout cas, le fait même de dresser des listes de noms montre que l’administration voulait garder toute la population sous sa surveillance. 

Il devait y avoir des raisons fiscales à cela. Le Tangshu note que les maisons closes du Koutchi étaient taxées. On peut penser que c’était une manière d’officialiser la prostitution, mais cela signifie plutôt que l’on taxait n’importe quoi. Certains documents montrent que les femmes et les hommes âgés étaient soumis à des corvées spéciales, sans doute des petits travaux. D’après les annales des Wei du Nord, les impôts étaient payés en grains et les contribuables qui n’avaient pas de champ versaient des pièces d’argent. Ce même texte donne une vision négative de la société koutchéenne : « Les gens du Koutchi ont un naturel dépravé ; ils ont établi le trafic des femmes (la prostitution était en effet développée) et recueillent l’argent des hommes pour le faire entrer dans le trésor de l’Etat ». C’est sûrement le poids de la fiscalité qui est dénoncé. 

Selon un texte koutchéen, les chefs de famille étaient concernés par le service au roi, le paiement des impôts, destinés à la nation, et leurs propres affaires. Ces devoirs ont sans doute été cités par ordre d’importance. Ce texte confirme le rôle du fisc dans la vie des Koutchéens et nous apprend que pour eux, le roi et la nation comptaient plus que la famille. 

Il serait intéressant de savoir si ce fardeau a provoqué des mécontentements de la population. En Perse sassanide, où les nobles amassaient des richesses considérables tandis que le petit peuple était écrasé sous les impôts, le mouvement mazdakite a tenté de révolutionner la société en profondeur à la fin du cinquième siècle et au début du sixième. 

Différents noms de taxes apparaissent dans les documents du Kroraina. Ils sont souvent difficiles à interpréter. On trouve des taxes levées par les autorités militaires et des droits de chasse. Les impôts en nature étaient variés : on donnait du grain, du vin, des fruits, des animaux, du feutre, des tapis, des couvertures, des cordes, des sacs ou des paniers. Généralement, les levées étaient annuelles. Les noms des contribuables individuels étaient notés dans des registres, les pravamnaga, et leurs parts étaient transportées séparément. Un haut fonctionnaire, le cojhbo (qui pouvait être gouverneur de province), collectait le grain pour son souverain. Ce titre est attesté dans les documents agnéens sous la forme cospâ. Les shothamga, placés sous les ordres du cojhbo, s’occupaient du vin. Le stockage et le transport de ces produits étaient confiés aux yatma et aux ageta. On utilisait des chameaux, parfois fournis par l’administration militaire. Comme il fallait traverser des zones où l’insécurité régnait, les convois étaient escortés. Parmi les brigands nomades qui écumaient le désert, il y avait les Supiya, qui étaient probablement des Xiongnu venus dans le bassin du Tarim après l’effondrement de leur empire. En cas de perte des impôts, le fonctionnaire responsable devait les remplacer par ses propres biens. 

Tout était réglementé, y compris la manière d’empaqueter les produits, et il y avait des contrôles à chaque étape de la collecte. Le vin était parfois placé sous scellé. Pourtant, de sévères dysfonctionnements restaient possibles. Il est ainsi question d’une localité qui n’avait pas payé d’impôt depuis 20 ans, ce qui provoqua la fureur du roi. Des fonctionnaires recevaient des avertissements du roi ou de leurs supérieurs hiérarchiques parce qu’ils tardaient à livrer les impôts qu’ils avaient collectés. Nous voyons l’un d’eux se faire renvoyer parce qu’il avait détourné du vin. Le roi veillait avec un certain succès, semble-t-il, à ce qu’ils n’opprimassent pas le peuple en réclamant plus d’impôts que l’Etat ne le demandait : « La loi du royaume est qu’il ne soit pas administré de manière illégale ». Des inspecteurs surveillaient les fonctionnaires, et régulièrement, tous les yatma, les ageta et les vasu (spécialisés dans la collecte d’une taxe foncière) étaient convoqués en réunion. Ceci dit, les documents ne nous disent pas si le taux d’imposition légal était raisonnable. Nous n’avons aucune information à ce sujet. 

Dans un document, il est question d’un ambassadeur envoyé par le roi du Kroraina à Khotan, qui voulait emmener sa famille. Le gouverneur de Cadota reçut l’ordre de la retenir et de veiller sur elle jusqu’au retour de l’ambassadeur. Le roi désirait sans doute lui épargner les fatigues et les dangers du voyage. 

Les ambassadeurs allaient d’un poste militaire à un autre. A chaque étape, ils étaient accompagnés par des guides (arivaga), qui étaient également des gardes. Leur profession était héréditaire et ils mettaient leurs propres animaux à la disposition des émissaires. 

 

fragment de manuscrit tokharien (source : http://titus.fkidg1.uni-frankfurt.de/texte/tocharic/tht.htm
langue : tokharien B, 
écriture : brahmi
alphabet tokharien simplifié d'après Ager Simon  http://www.omniglot.com/writing/tocharian.htm

 

3.La société tokharienne. 

Commençons par le bas de l’échelle, en parlant des serviteurs et des esclaves. A Khotan, il existait au moins deux types de serviteurs, les bîsa- « esclaves domestiques » et les pârysa- « suivants ». Leurs maîtres pouvaient avoir de l’affection pour eux : on lit, dans un document khotanais, « mes suivants bien-aimés ». 

Les documents kroraïnais montrent de manière bien plus évidente que la condition des esclaves était meilleure que dans la civilisation gréco-romaine. Ils pouvaient travailler pour leur propre compte et conserver leurs biens, par exemple des animaux, et même... des hommes ! On lit en effet : « J’avais un esclave, un homme de Kilma nommé Amngiya ; [...] il a donné (comme) le lote de sa propre vie un homme nommé Cimgeya et six bêtes ». Le terme lote désigne une catégorie de biens personnels que l’on pouvait acquérir par le travail. Amngiya les a utilisés pour se racheter lui-même. Un autre document montre un esclave vendant de la terre à l’un de ses semblables. Parfois, les maîtres aidaient leurs esclaves à effectuer ces transactions. 

Les rois se faisaient les protecteurs des esclaves. L’un d’eux a ainsi décrété que, même en période troublée, un maître n’avait pas le droit de s’emparer des terres de ses esclaves. Il arrivait aussi qu’un roi octroyât des terres et des maisons à des esclaves. Les fugitifs lui étaient remis, et loin de les maltraiter, il pouvait leur faire des dons, y compris des semences pour leur permettre de cultiver leurs terres. Cependant, il pouvait aussi offrir ces fugitifs à qui il voulait. 

Un esclave ne recevait pas d’argent, mais seulement de la nourriture et des vêtements. Il travaillait soit comme domestique chez son maître, soit sur ses terres, et il lui devait une parfaite obéissance. Le travail qu’il effectuait pour son propre compte ne pouvait se faire que quand il avait du temps libre. Malgré les privilèges dont il jouissait, il restait donc un esclave. Son maître pouvait le revendre ou le donner selon son bon vouloir. On kidnappait des esclaves, et si l’on dédommageait leur ancien maître, on pouvait les conserver. S’ils retournaient chez eux, leurs ravisseurs perdaient tout droit sur eux. Parfois, ils étaient maltraités. Certains étaient même battus à mort, mais par d’autres personnes que leurs maîtres. Ceux-ci avaient en effet tout intérêt à les garder en vie, puisqu’ils représentaient une valeur marchande. Un document montre ainsi un maître demander réparation en justice pour le meurtre d’un de ses esclaves. La violence qui leur était faite est symptomatique du mépris dans lequel certaines personnes les tenaient. On voit même des fonctionnaires brutaliser des esclaves. 

La noblesse koutchéenne n’est guère connue que par les peintures rupestres. Les documents koutchéens ne nous apprennent à peu près rien sur elle. Au Koutchi, les hommes du peuple étaient les ypoye (ypoyi au pluriel), terme dérivé de yapoy « pays ». Un texte les qualifie de « troisièmes », c’est-à-dire de troisième branche de la société, sans préciser qui étaient les deux premières. Les esclaves ou serviteurs étaient désignés par le terme mañiye, dont la version féminine était mañiya. Il est d’origine iranienne, ce qui laisse supposer que les Koutchéens avaient une conception de l’esclavage également d’origine iranienne. Ils ont cependant pu la modifier. Les serviteurs et les servantes étaient considérés comme des membres de la maison, avec l’épouse, les fils et les filles, tous étant placés sous la responsabilité du chef de famille. Peut-être étaient-ils parfois nombreux, comme dans certaines familles sogdiennes. 

Les documents kroraïnais font apparaître une société divisée en nobles, fonctionnaires et chefs de famille, sans compter les moines et les esclaves. Les premiers possédaient des fiefs ou domaines désignés par le terme de kilme, dont on doit remarquer qu’il est tokharien. Les territoires qui n’étaient pas attribués à la noblesse dépendaient de l’administration royale. 

Le site de Cadota, fouillé par Aurel Stein, donne une idée très précise de ce qu’était un établissement rural. On y voit des fermes, possédant parfois jusqu'à une dizaine de pièces, entourées de vergers, d’étables et de jardins protégés par des clôtures de buissons. Les champs, qui devaient se trouver ailleurs, sont retournés au désert. On se demande si les plus importantes de ces fermes n’appartenaient pas à des nobles. 

Des paysans libres possédaient leurs propres terres, d’autres travaillaient chez des propriétaires fonciers et recevaient des salaires. Certains propriétaires louaient leurs terres. Un fermier, n’ayant pas payé son loyer depuis un certain temps, fut sommé d’arrêter de cultiver ses champs, de vendre sa maison et de venir habiter avec toute sa famille chez le propriétaire. 

Selon un document sogdien, la société était composée des nobles (”z’tk’r’), des marchands (w’kry) et des travailleurs (k’ryk’r), c’est-à-dire des paysans et des artisans, les esclaves n’étant pas pris en compte. Il y avait bien sûr aussi des marchands en Sérinde, mais leur rôle était loin d’être aussi important que celui de leurs homologues sogdiens, lesquels pouvaient aisément franchir la frontière qui les séparait de la noblesse. Par leur intense activité, par leur ubiquité, ils avaient fait du sogdien la langue commerciale de l’Asie centrale. Il est fort possible que lorsque des marchands koutchéens et khotanais se rencontraient, ils se parlaient en sogdien. 

Il n’y avait pas de distinction entre artisans et artistes. En koutchéen, « habileté, art » se dit amok, mot qui se transforme en « artisan, artiste » quand on y ajoute le suffixe -tstse « pourvu de ». Les arts se transmettaient de père en fils. Ainsi, un musicien koutchéen venu en Chine entre 560 et 578 expliqua que son père était un musicien renommé dans son pays et parla d’une tradition transmise de génération en génération. Il n’y a rien d’original à cela : en Perse et en Inde, il était inconcevable qu’un fils n’exerçât pas le métier de son père. Il est certain que les artisans étaient regroupés en corporations. On sait qu’ils se distinguaient les uns des autres par la coiffure ou le costume. Des peintres ont fait leurs autoportraits dans les grottes de Kyzyl. Leurs chevelures tombaient sur leurs épaules, alors que les Koutchéens avaient généralement les cheveux courts. D’après un texte chinois, les musiciens du Koutchi avaient « un turban de soie noire, une robe de soie cramoisie, des manches brodées, un pantalon de soie cramoisie. Les danseurs, au nombre de quatre, portaient une tache rouge au front, une tunique cramoisie, un pantalon blanc, une queue d’oiseau (?) et des bottes de cuir ». Il s’agissait d’artistes présents en Chine, mais la mention des bottes montre qu’ils portaient leurs costumes nationaux. 

L’un des rares renseignements que nous ayons sur la justice koutchéenne provient des annales des Wei : « La loi du pays, c’est qu’en cas de meurtre, on est mis à mort, en cas de vol, on vous coupe un bras et un pied ». Elle était rendue d’une manière sévère ! Cela rappelle les coutumes des Hephthalites, selon lesquelles les voleurs étaient coupés en deux. Cependant, les Chinois ont sûrement donné une vision simplifiée de la justice. On peut supposer que l’emprisonnement existait chez les Koutchéens. Un document koutchéen parle d’un escroc qui a été « saisi », ce qui s’interprète en « écroué ». Cet individu n’était autre qu’un moine. Il a, si l’on comprend bien l’affaire, emprunté de l’argent au nom de son monastère, le remboursement de ces dettes risquant de ruiner la communauté. L’arrestation de ce moine ne réglait pas ce problème et créait plutôt des difficultés. 

A Khotan, il y avait des juges, pharshavatâ, dont la désignation signifie « fonctionnaire chargé des interrogatoires ». Les condamnés pouvaient être exécutés, enfermés dans une prison (bamdana-sâlâ) ou battus, probablement avec un bâton comme en Chine. La torture existait. 

Il est souvent question, dans les documents kroraïnais, de prendre une décision ou de rendre un jugement « selon la loi ». Il devait y avoir un code écrit, ce qui était aussi le cas à Khotan, où le concept de loi était reconnu. Les affaires dont parlent ces documents sont surtout civiles : il s’agit de querelles qui doivent être examinées « avec serments et témoins ». Les vasu ou ageta, dont nous avons déjà parlé au sujet du système fiscal, avaient des fonctions judiciaires. C’était aussi le cas des cojhbo

Parmi les documents kroraïnais, il y a des contrats de mariage. La coutume de dresser des contrats à cette occasion est aussi attestée en Sogdiane, et elle est probablement originaire du Moyen-Orient. En fait, de nombreux usages ont dû provenir du Moyen- Orient, par l’intermédiaire du monde iranien. La conception de l’esclavage faisait partie de ces influences. Cependant, la notion même de contrat, qui jouait un rôle très important au sein de la société (toutes les transactions étaient sanctionnées par des contrats), était tokharienne. C’était un élément de leur héritage indo-européen. 

 

 

Moine et tigre (Dunhuang)

 

4.La condition féminine. 

Comme pour les hommes, il y avait une distinction essentielle entre les femmes libres et les esclaves. Au Kroraina, ces dernières pouvaient être battues, ligotées, vendues, mises en gage, données en cadeau ou troquées selon le bon vouloir de leurs maîtres. Elles avaient donc un statut semblable à celui du bétail. 

Le problème est qu’aucune femme du peuple n’était à l’abri de l’esclavage. Rien, dans les documents kroraïnais, n’atteste qu’un chef de famille pouvait vendre ses enfants, mais il y a tout lieu de croire que cette pratique était courante. On aimerait savoir si un mari avait le droit de vendre sa femme, comme cela se faisait par exemple en Chine. Les documents nous donnent seulement des prix de femmes : 41 rouleaux de soie, un chameau de sept ans ou un tapis d’une certaine longueur. Elles pouvaient aussi devenir esclaves après avoir été kidnappées. Il est ainsi question d’une femme qui a été battue si brutalement par son ravisseur qu’elle a fait une fausse couche et qu’elle a obtenu l’autorisation de retourner chez son mari. D’autres documents, parlant de blessures ou de crânes fracturés, témoignent de la violence qui était parfois exercée sur les femmes esclaves. 

On remarque, dans le droit kroraïnais, une caractéristique du monde indo-européen : la légalité du butin. Il était possible d’enlever légalement une personne pour en faire un esclave. Le plus souvent, cela se faisait lors des guerres. En Sogdiane, les esclaves étaient acquis soit par achat, soit lors de batailles ; d’autres étaient vendus par leur famille ou se confiaient eux-mêmes à la protection d’un maître. 

Un court passage nous en dit long sur la misogynie de certains Kroraïnais : « Si l’on est aimé par une femme, rien de bon ne peut en résulter. Les femmes sont comme le fil du rasoir. Qui ferait leur éloge ? ». De même, un moine koutchéen au nom indien, Dharmasoma, a inclus les « bien-aimées » parmi les calamités qui enlevaient aux hommes leurs biens. Il y avait aussi les voleurs, la guerre ou le « seigneur » (sans doute le roi). Les idées de Dharmasoma reflètent une idéologie sexiste tout à fait indo-européenne, mais d’un autre côté, elles montrent que les femmes exerçaient un réel pouvoir sur les hommes. Les Koutchéennes devaient être de terribles séductrices, surtout lorsqu’elles laissaient leurs poitrines dénudées ! Dans leur pays, on préférait avoir des fils. Au Kroraina, la naissance d’un garçon donnait lieu à des réjouissances. Naturellement, les femmes n’exerçaient aucune fonction publique. Toutefois, elles pouvaient témoigner devant les tribunaux. 

Malgré cela, au Kroraina, la situation des femmes libres était bonne. Ainsi, elles pouvaient travailler et jouir de leurs biens, qui échappaient au contrôle de leurs maris. Elles acquéraient par achat ou par don des animaux (chameaux, chevaux) ou des terres, qu’elles cultivaient librement. Elles avaient aussi des activités commerciales. Leurs fils et leurs filles héritaient en parts égales de leurs biens. Elles pouvaient donner leurs enfants mineurs à d’autres familles et recevoir en échange des « frais de lait », par exemple un animal. C’était une forme d’adoption très courante. Les femmes esclaves donnaient aussi leurs enfants, plutôt leurs filles, semble-t-il, mais il leur fallait une autorisation de leurs maîtres. En revanche, une esclave pouvait librement adopter un enfant. 

On peut mentionner l’existence de sorcières. Leur activité était jugée aussi criminelle qu’en Europe : il y a des cas de sorcières emprisonnées ou condamnées à mort, et celui qui en assassinait une n’était pas puni. 

C’était le père qui décidait du mariage de ses enfants. Il donnait sa fille au fiancé qu’il avait choisi et recevait en échange un lote, argent ou bien en nature. Tout se passait donc comme s’il vendait sa fille, et certains pères cupides espéraient tirer un grand profit de ces mariages. Ceci nous amène à penser que même si les Kroraïnais se réjouissaient d’avoir des fils, la naissance d’une fille n’était nullement considérée comme une catastrophe. 

Les liens du mariage étaient aisément rompus. Plusieurs documents en font mention. Dans l’un d’eux, il est question d’une femme du nom de Soupriya qui a quitté son mari pour s’enfuir au Koutchi avec le fils d’un potier. Après plusieurs années d’absence, le roi a autorisé le couple adultère à revenir au pays, mais le père de Soupriya, qui était un moine, la persécutait en réclamant le lote de son nouveau gendre. Sa demande a été jugée illégale : il n’avait plus de droit sur sa fille. Ce document est intéressant à plusieurs égards, car on voit grâce à lui que les relations entre les royaumes n’étaient pas que diplomatiques ou commerciales. Les coutumes du Kroraina, si elles n’étaient pas partagées par les Koutchéens, leur étaient au moins connues. 

Au cinquième siècle, l’épouse d’un Tourfanais, réputée pour sa beauté, commit un adultère. Son mari, qui était connu par son nom chinois, Fahui, plutôt que de tuer les amants, se fit moine. Comme d’autres Tourfanais, il se rendit au Koutchi pour s’initier auprès d’un grand maître. Celui-ci lui permit d’atteindre l’éveil d’une manière originale : il lui fit ingurgiter une quinzaine de litres de vin ! De retour dans son pays, Fahui dispensa ses enseignements dans des couvents de nonnes. 

Il y a tout lieu de croire que la condition des femmes était également bonne au Koutchi, mais là, nos renseignements concernent surtout la noblesse. C’est ainsi que sur les parois des grottes de Kyzyl, on voit des couples de donateurs, la femme représentée à côté de son mari, plutôt à sa droite : en contexte religieux au moins, il y avait égalité. Toutefois, comme au Kroraina, la polygamie devait exister. Dans la grotte 199 de Kyzyl, trois femmes sont représentées à la droite d’un homme, ce qui en est peut-être un témoignage. Comme aucun texte n’accompagne cette peinture, cette interprétation est hypothétique. Les jeunes filles recevaient une instruction, et leurs qualités intellectuelles étaient appréciées. Un texte chinois compilé vers 519, le Gaosengzhuan, décrit en ces termes la princesse Jivâ, future mère de Kumârajîva : « La sœur du roi, âgée de vingt ans, était d’une intelligence insigne ; de tous les royaumes, on l’avait demandée en mariage ». Nous ne saurons pas si elle était belle : ce n’était pas cela qui comptait. Elle jettera finalement son dévolu sur un moine, et on contraindra celui-ci à l’épouser. 

Il y avait des couvents de femmes, ce qui n’existe plus aujourd’hui dans les pays du Petit Véhicule. Un témoignage du temps de l’empereur Xiaowu des Jin (373-396) décrit trois de ces couvents, comptant respectivement 180, 50 et 30 religieuses, en général des femmes et des filles de rois ou de princes sérindiens : « Dans la pratique des lois, elles se règlent elles-mêmes. Elles ont une règle fort sévère. Une fois tous les trois mois, elles changent de cellule ou bien de monastère (les hommes faisaient de même). Quant aux sorties, sauf les trois supérieures, elles ne sortent pas. Elles observent cinq cents prescriptions ». Les femmes pouvaient aussi être donatrices. Cela signifie qu’elles avaient de l’argent à leur disposition. 

Comme au Kroraina, les femmes exerçaient des activités économiques. Il y a des noms de femmes dans des laissez-passer de caravanes. Une Tourfanaise a laissé une inscription au nord de l’actuel Pakistan. On trouve aussi un témoignage de leur activité dans un document de Saint-Pétersbourg qui provient sans doute d’un monastère : « Ce même quatorzième jour, les travailleurs, hommes âgés (s'rây) et femmes, ont consommé leur propre laine, d’une chèvre à larges dents ». Les femmes et les hommes âgés semblent avoir eu des statuts similaires. 

 

 

Aristocrates tokhariens

(A. von Le Coq, "Die Buddhistische Spätantike in Mittleasien", vol 3)

 

 

5.La religion et ses aspects séculiers. 

Comme nous le savons, une branche du bouddhisme ancien, le Sarvâstivâda, étant largement dominante chez les Tokhariens. Xuanzang nous apprend qu’au Koutchi, il y avait une centaine de couvents où vivaient environ 5000 religieux de cette école. En Agni, 2000 religieux étaient répartis dans une dizaine de couvents. 

La ferveur des Koutchéens a été décrite par Xuanzang : « En dehors de la porte occidentale de la capitale, on voit s’élever à droite et à gauche de la route deux statues du Bouddha, hautes chacune d’environ 90 pieds (ou 27 mètres). Devant ces statues, on a établi une place pour les grandes assemblées qui se tiennent une fois tous les cinq ans. Chaque année, au milieu de l’automne, pendant plusieurs dizaines de jours, les religieux de tous les royaumes viennent en cet endroit et s’y rassemblent. Depuis le roi jusqu’aux hommes du peuple, tout le monde quitte ses affaires et observe fidèlement le jeûne et l’abstinence. Ils reçoivent les instructions sacrées et entendent l’explication de la Loi. Ils passent ainsi des jours entiers sans songer à la fatigue. 

« Dans tous les couvents, on pare richement la statue du Bouddha, on l’orne de pierres précieuses, on la couvre de vêtements de brocard, et on la promène sur un char. Cela s’appelle “faire marcher la statue” ». 

Au sujet des Agnéens, il écrit que : « Les religieux s’acquittent de leur devoir et observent les règles de la discipline avec une pureté sévère et un zèle persévérant ». De semblables louanges sont adressées aux Koutchéens. Son récit contraste avec le tableau de la vie monastique que permettent de brosser les documents du Kroraina. Tout n'allait certes pas de travers dans la communauté monastique kroraïnaise, mais il y avait des problèmes. Une autorité centrale était chargée de les régler. Sous le règne du roi Mayiri, dans la première moitié du quatrième siècle, un rapport selon lequel les novices ne suivaient pas les conseils des Anciens et se montraient désobéissants fut rédigé. Le roi dut prendre des mesures. 

Il y avait parfois des querelles, avec coups et blessures, parmi les moines. Les coupables devaient payer un certain nombre de rouleaux de soie, de 5 à 15 selon la gravité des faits. Deux fois par mois, à la nouvelle lune et à la pleine lune, les moines devaient se réunir pour une cérémonie appelée posatha. Il y avait des discussions au sujet de la doctrine et des règles de la discipline. Les moines qui ne s’y rendaient pas étaient punis d’une amende, ainsi que ceux qui s’y rendaient en habits de laïcs. Cela signifie qu’en dehors de cette cérémonie, ils pouvaient porter de tels vêtements. La communauté monastique (la Sangha) vivait en principe en dehors de la société, mais en réalité, il y avait des liens entre les deux mondes. Une partie des problèmes de la Sangha en découlaient. Elle en réglait elle-même certains, y compris ceux de nature judiciaire. L’Etat se réservait cependant le droit d’intervenir. Nous avons même vu le roi Mayiri régler un problème de pure discipline. 

Les moines kroraïnais, contrairement à leurs homologues indiens, pouvaient témoigner lors des procès. On voit la Sangha intervenir dans une affaire de vente d’une femme, d’une fille, d’une terre, de vente ou de louage d’un chameau et d’adoption. Ils menaient fréquemment une vie de famille, avec femmes et enfants. On voit ainsi un moine donner sa fille, de manière tout à fait légale, à un autre moine. Ce genre de mariage existait également au Koutchi. Certains moines possédaient des terres, des animaux ou des esclaves. Un document parle d’un vol commis par un esclave dans la maison de son maître, qui était un moine. Un noble portant le nom d’un bouddha, Sudarsana, était à la fois le supérieur d’un monastère (vihârapâla) et un chef de famille possédant un kilme, c’est-à-dire un fief. Comme il a infligé de mauvais traitements à ses fermiers et à ses subordonnés, il a été emprisonné. Les activités laïques auxquelles se livraient les moines étaient nombreuses. Ils participaient à des ventes de terres et de champs de vignes, ils se faisaient banquiers ou usuriers quand ils étaient riches ; ils travaillaient comme serviteurs quand ils étaient pauvres. Ils transportaient des messages, de l’argent ou des animaux pour des particuliers. Ils faisaient office de scribes. L’Etat était parfois leur employeur : ils collectaient des taxes, ils effectuaient des missions d’observation pour l’armée ou ils travaillaient comme messagers. On remarque qu’aucune de ces activités n’était artisanale ou artistique : elles étaient l’affaire de spécialistes. 

Les moines qui se livraient à ces activités ne vivaient probablement pas dans les grandes fondations monastiques, ce qui leur donnait une certaine liberté. La situation devait être la même dans tout le bassin du Tarim, et il n’y a pas de raison de douter de l’existence de ces monastères, dont Xuanzang a parlé, où les moines vivaient véritablement en communauté, dans le strict respect des règles de la discipline. 

Ces monastères, cependant, étaient loin de s’abstenir de toute activité économique. Leur enrichissement était inévitable, puisque la ferveur bouddhique faisait affluer les dons. En assouplissant la discipline originelle, le Sarvâstivâda permettait la gestion de ces biens, qui étaient la propriété de la communauté, et non pas de tel ou tel moine. Sur ce point, les documents koutchéens nous donnent de précieux renseignements. 

Les dons étaient surtout effectués par des aristocrates et des marchands, chacun étant apparemment attaché à un monastère, les donations étant institutionnalisées. On offrait de l’argent, de la nourriture, mais aussi des jardins potagers et des jardins d’agrément, où les moines se livraient à la détente et à la méditation. Les monastères possédaient également des champs de plus ou moins grande superficie, qu’ils pouvaient acquérir par don ou par achat. Un document kroraïnais parle du don d’un esclave, un Khotanais, à la communauté. 

Les monastères faisaient fructifier tous ces biens. Par exemple, ils effectuaient des placements et des prêts à intérêts, ce qui était aussi une manière de se libérer de l’excès de dons. Il leur arrivait de vendre des dons de vivres. Les jardins et les champs étaient cultivés par des ouvriers agricoles et des esclaves, ce qui constituait une source de revenus. Une part des céréales produites était troquée contre d’autres denrées. Certaines terres étaient affermées. Il fallait satisfaire, non seulement les besoins propres des moines, mais également ceux liés à l’activité économique de leurs monastères : rétribution du personnel laïc, paiement du meunier à qui l’on demande de moudre le grain, etc. Le meunier était un personnage important du monde agricole. L’abondance des biens entreposés explique certainement la présence des fortifications, et l’on sait que les monastères étaient des cibles pour les guerriers tibétains. 

De même que les moines ne pouvaient effectuer des travaux agricoles, la manipulation de l’argent leur était interdite. Pour cela, ils utilisaient des intermédiaires appelés kapyâre (kapyâri au pluriel) en koutchéen. Il s’agissait en fait de serviteurs rétribués par les monastères. C’était des moines qui avaient les pouvoirs de décision et de contrôle sur les activités économiques. Les documents font apparaître des titres de religieux affectés à ces tâches, comme yirpshuki « surveillant » ou « contrôleur ». On trouve aussi un titre féminin : yirmakka « intendante ». Ils sont d’origine koutchéenne, tandis que kapyâre résulte d’un emprunt au sanskrit. Toutes les acquisitions et tous les achats étaient enregistrés, et ce sont ces documents qui nous sont parvenus. 

Nous n’avons pas de données à ce sujet, mais le poids de la centaine de monastères koutchéens dans l’économie nationale n’était sûrement pas négligeable. Une fraction notable de la terre devait ainsi leur appartenir. Cette activité n’échappait pas au pouvoir royal, certains monastères étant placés sous l’autorité du souverain. C’était le cas de l’important complexe monastique de Soubachi. On y a trouvé un registre de comptabilité où il est écrit : « Le septième jour du premier mois, sur avis du roi, nous avons acheté du sucre ». 

En ce qui concerne les pratiques profanes, les Chinois ont pris exemple sur les Sérindiens. Les monastères acquéraient de vastes étendues de terre, non seulement des champs mais aussi des terrains montagneux, et de nombreux paysans se plaçaient sous leur protection. Ceci était préjudiciable aux Etats, qui ont très tôt tenté de restreindre leur puissance : la première persécution a eu lieu dès 446, sous les Wei du Nord. De tels évènements ne pouvaient pas se produire en Sérinde, grâce aux relations privilégiées qu’entretenaient le pouvoir royal et l’Eglise bouddhique. Il était courant que des membres de la famille royale entrent en religion. 

 

 

 

 

Monnaie type wuzhu de Koutcha

 

6.La monnaie. 

D’après Xuanzang, les Koutchéens faisaient usage de « monnaies d’or, d’argent et de petites pièces de cuivre », comme les Agnéens. Son témoignage est sûrement exact, bien que l’on n’ait trouvé aucune pièce d’argent sur tout le territoire de ce royaume, à part des monnaies sassanides, et aucune pièce d’or. Par contre, certains sites ont fourni des pièces de cuivre en grand nombre : une dizaine de milliers à Dunmailimaiqike, près de Koutcha. Elles datent de la période d’indépendance, de la fin des Han au début des Tang, mais attestent de la persistance de l’influence chinoise. Elles sont en effet de forme ronde avec un trou carré, comme les monnaies chinoises, et la plupart portent une inscription chinoise : wuzhu, où wu signifie « cinq » et zhu est une unité de poids. Ainsi, ce sont des monnaies de cinq zhu. Toutes portent deux signes considérés comme koutchéens, bien qu’ils soient indéchiffrés. L’un ressemble à un E écrit à l’envers, l’autre à un O. Ce n’est pas de la brâhmî. Ces pièces sont plus petites que celles utilisées par les Chinois à l’époque des Tang, ce qui confirme le témoignage de Xuanzang : certaines n’avaient qu’un centimètre de diamètre. Par ailleurs, on a trouvé deux ateliers monétaires, et nous savons par Xuanzang que le Koutchi avait des mines de cuivre et d’or, mais pas de mine d’argent. 

En revanche, les pièces d’argent étaient d’usage très courant à Tourfan, les pièces de cuivre étant utilisées comme divisionnaires. Dans les documents en chinois, elles sont appelées par leur nom chinois, qian, que l’on traduit ordinairement par « sapèque ». Ce mot est passé en koutchéen sous la forme câne (câni au pluriel). Il semble qu’au Koutchi, ce même mot ait désigné les pièces de cuivre, et non celles d’argent comme à Tourfan. C’est ce que révèle la comparaison de deux documents économiques : il est question d’un fermage de verger de 2000 câni au Koutchi et de 25 câni à Tourfan. 

D’autres documents du Koutchi confirment que le câne était une petite monnaie, qui servait aux achats quotidiens. Elle était tellement courante que l’on ne la mentionnait même pas : on disait « nous avons acheté du sucre, pour quatre », sous-entendu quatre câni. Ou encore, « pour la lampe des bouddhas, j’ai acheté de l’huile, deux sank, pour 12 ». Le sank était la plus petite unité de mesure connue ; elle pourrait valoir un litre. Il y avait aussi le tau, qui valait 10 sank, et le câk, qui valait 10 tau. Toutes sont empruntées à la Chine. 

De grands achats étaient comptés en câni. Nous citons à ce sujet un texte du Koutchi dans son intégralité. Il est intéressant parce qu’il donne un nom de localité et deux noms de rivières, mais nous serions bien en peine de les situer sur une carte. Il commence par une liste de neuf noms, dont celui d’un « Ancien », Puttawarme (prononciation koutchéenne du sanskrit Buddhavarman). On lit ensuite : 

« [habitants] d’Ynaimya, ont reçu 1500 câni pour la terre. De cette terre appartenant au monastère, à l’est, la limite est la rivière Armoki, au sud, la limite est l’aqueduc de la rivière Yate, à l’ouest, la limite est le grand canal, au nord, la limite est l’aqueduc de la rivière Armoki jusqu’au grand canal inclus. » 

Il s’agit d’un contrat de vente de ce que nous traduisons par « terre ». Le mot koutchéen correspondant, keta, est de signification incertaine. Il désigne un espace plus ou moins vaste. La traduction de ârte par « aqueduc » est hypothétique ; elle pourrait être remplacée par « canal d’amenée (surélevé) ». Il s’agirait en tout cas de dispositifs servant à l’irrigation. Nous venons de voir que les monastères avaient d’importantes possessions et exerçaient une activité économique ; nous en avons ici une illustration. La terre ne semble pas être très chère. On comparera ceci avec une phrase d’un autre document : « 32 552 câni pour les vêtements ». 

Des textes du Koutchi révèlent un autre nom de monnaie : le kuśâne. Celui-là n’est pas emprunté au chinois. Il doit désigner des pièces de cuivre, car c’est sûrement une petite monnaie. Voici deux phrases tirées d’un registre de comptabilité d’un monastère écrit sur une planchette de bois : « Ils ont aiguisé (?) les couteaux pour 250 kuśâni », « Pour la terre monastique, les frais ont été de 801 900 kuśâni ». 

 

7.Les fêtes et les distractions. 

Chez les Koutchéens, le début du printemps et celui de l’été étaient « fêtés » par des carnavals que les Chinois appelaient sumuzhe. On s’y amusait, mais ces fêtes avaient aussi et surtout une signification religieuse. Ces carnavals avaient exactement la même signification que les carnavals européens, car ils étaient de même origine : des participants déguisés, portant des capes et des masques, mimaient des créatures de l’au-delà qui étaient à la fois bénéfiques et maléfiques. Leur caractère était fondamentalement ambigu. Elles étaient ce que Georges Dumézil a appelé des « démons-masques ». Elles représentaient à la fois la mort et la fertilité-fécondité, deux notions indissociables chez les anciens Indo-Européens. Sept jours durant, ces Koutchéens exécutaient des danses endiablées, au son des tambours et d’autres instruments de musique. 

Durant le carnaval du début du printemps, c’est-à-dire du Nouvel An, les participants portaient des masques de chien et de singe. Un à deux mois avant, durant le onzième mois, il y avait un autre carnaval qui devait être lié à celui-ci. Il se déroulait durant le solstice d’hiver. Les participants se déguisaient en animaux, mais aussi en fantômes. Certains se peignaient le visage. Ils s’aspergeaient d’eau les uns les autres ou ils aspergeaient les passants afin de chasser les démons. Il s’agit là de rites relativement tardifs, décrits à l’époque des Tang, alors que les Koutchéens étaient entrés de manière désastreuse sous la tutelle chinoise. 

A l’origine, ces participants étaient tous des fantômes ou des démons liés à l’Autre Monde et c’était eux qu’il fallait chasser, par des aspersions d’eau. Ils étaient associés à la vieille année, expulsée durant le Nouvel An. L’année étant composée de douze mois, il y avait douze démons-masques, que l’on chassait de la cité en leur lançant des pierres ou des briques. On tirait sans doute aussi des flèches sur eux. Ces rites de lapidations sont aussi attestés chez les Grecs et les Slaves. Les premiers expulsaient des hommes appelés les pharmakoi durant la fête des Thargélies, qui avaient lieu vers nos mois de mai ou de juin. C’était la fête ionienne des moissons, placée sous le patronage d’Apollon et de Déméter. Chez les Indo-Européens, la période de changement d’année durait douze jours, chaque jour correspondant à un mois de l’année écoulée. On retrouve cette période entre Noël et l’Epiphanie. 

Au Nouvel An, les Koutchéens organisaient des combats de chevaux, de chameaux et de moutons, et ils observaient qui étaient les vainqueurs pour augurer si les récoltes de l’année à venir seraient bonnes ou mauvaises. Les Scandinaves organisaient des combats semblables, pour la même raison, mais seulement avec des chevaux. C’était un jeu extrêmement populaire. La Grèce antique connaissait également ce rite. 

Le sumuzhe du début de l’été avait une signification similaire à celui du début du printemps, mais c’étaient seulement les premiers mois de l’année qui étaient expulsés. On jetait de l’eau boueuse sur les démons-masques qui les représentaient ou on les attrapait avec des lacets munis de crochets. Les Koutchéens les comparant à des créatures de la mythologie indienne appelées les râkshasa et les preta, on sait qu’ils pouvaient être des fantômes (comme les preta), qu’ils étaient anthropophages et qu’ils enlevaient les femmes pour les épouser (comme les râkshasa). 

Ce dernier aspect des démons-masques était lié à la fertilité-fécondité. Comme chez d’autres peuples indo-européens, les carnavals koutchéens devaient être une époque propice aux fiançailles ou aux mariages. Les femmes de Tourfan portaient d’ailleurs une coiffe huilée appelée sumuzhe par les Chinois, exactement comme les carnavals. S’agissait-il des femmes mariées ? On l’ignore, mais c’est très probable. Il est également certain que les Koutchéennes prenaient un bain, avant leur mariage, pour éloigner les démons, qui étaient susceptibles des enlever à leur fiancé lors de la cérémonie. C’était une coutume extrêmement répandue chez les Indo-Européens et dont on trouve un souvenir en France : la Bidoche (de bidet « petit cheval de selle ») faisait irruption au milieu des repas de noces d’Anjou, du Maine ou de Normandie. Le cheval était justement une forme fréquente des démons-masques. 

Les grottes de Kyzyl montrent des scènes de funérailles. On ne se contentait pas de se lamenter : les hommes se tailladaient le visage avec un couteau et les femmes s’arrachaient les cheveux. On voit même une femme se taillader la poitrine. De telles pratiques étaient répandues en Asie centrale, et les Turcs les connaissaient aussi. Les funérailles étaient donc violentes, pour ainsi dire, mais elles étaient brèves : elles ne duraient que sept jours. Il y avait des danses d’individus déguisés en animaux ou en créatures imaginaires, certainement apparentées aux démons-masques des carnavals. La coutume d’incinérer les morts est arrivée avec le bouddhisme, et elle ne s’est jamais imposée à Tourfan. On mettait les cendres dans une boîte, que l’on enterrait, et on construisait un petit édifice au-dessus. 

Le Youyang zazu, ouvrage chinois datant du huitième siècle, donne un calendrier des fêtes agnéennes : « Le premier jour de l’année et le huitième jour du deuxième mois, il y a sumuzhe. Le troisième jour, on sacrifie dans les campagnes [sur les tombes]. Le 15 du quatrième mois, on va se promener dans les forêts. Le 5 du cinquième mois, Maitreya descend pour naître. Le 7 du septième mois, on sacrifie aux ancêtres. Le 9 du neuvième mois, on répand des graines de chanvre. Le 10 du dixième mois, le roi fait un rite de renonciation : il sort chez un chef de tribu ; le chef monte sur le cheval du roi, et pendant un jour et une nuit, il administre les affaires royales. Le 14 du dixième mois, on fait de la musique jusqu'à la fin de l’année. » 

Ainsi, les Agnéens avaient deux sumuzhe comme les Koutchéens, mais ils les avaient curieusement rapprochés, les mettant à seulement un mois et une semaine d’intervalle. Le sacrifice agnéen aux ancêtres avait lieu en même temps que le deuxième sumuzhe koutchéen, au début du septième mois. Cette correspondance n’était sans doute pas due au hasard, le sumuzhe étant étroitement associé aux morts. La fête du quatrième mois n’était sûrement pas une simple promenade. Elle doit s’expliquer par un culte des arbres qui faisait partie de la religion tokharienne. Plusieurs peuples indo-européens avaient des forêts sacrées. 

Les Tokhariens aimaient faire la fête. Ils étaient d’un naturel joyeux. « Les gens aiment à chanter et à se réjouir », dit le Tangshu au sujet des Koutchéens. De même, les Agnéens attachaient une grande importance aux plaisirs et aux divertissements. « Généralement, ils apprécient le vin, et aussi la musique », dit-on encore. Cela signifie qu’ils étaient des buveurs invétérés ! On sait que les Koutchéens fortunés entreposaient de grandes quantités de vin chez eux. Les banquets, sûrement très arrosés, jouaient un rôle important dans la vie sociale. Les documents kroraïnais nous donnent le nom d’une fête, la vasdhiga, qui se déroulait dans les montagnes, et durant laquelle on consommait du vin. 

On ne peut s’empêcher de comparer les Tokhariens aux Sogdiens : « Les habitants de ces principautés aiment le vin. Ils se plaisent à danser et à chanter dans les rues ». Comme on le voit, cette joie de vivre était très répandue en Asie centrale. Elle s’accompagnait naturellement d’une certaine débauche. La prostitution était une véritable institution dans ces pays, ce qui n’était pas forcément synonyme de mauvais goût : les grandes courtisanes étaient des artistes accomplies. 

Cela ne s’accorde pas très bien avec les paroles de Xuanzang, selon lesquelles « les mœurs étaient pures et honnêtes ». Mais ce n’était sans doute que péchés mignons à ses yeux. Il est moins tendre avec d’autres peuples. Il signale par exemple que les habitants de Kachgar se plaisaient au vol et à la tromperie. 

Nous pouvons être sûrs que les Tokhariens jouaient aux échecs. Ce qui semble bien être une pièce d’un jeu d’échecs a été trouvée à Tourfan, ainsi qu’une plaque de bois ayant pu servir d’échiquier. Ils connaissaient aussi les dés. Il existait certainement beaucoup d’autres jeux, nobles ou populaires, dont le souvenir est à jamais perdu. Certains étaient accompagnés de musique, et le nom d’un air a été conservé, car il était joué par l’orchestre du Koutchi en Chine. Il s’agit de l’air du Cache Agrafe, un jeu féminin. 

On s’adonnait à la chasse, plutôt à cheval quand on était noble. Des chiens accompagnaient les chasseurs. On utilisait aussi des faucons. Nous n’avons pas de témoignage de la pratique du polo, mais il est certain que les Tokhariens le connaissaient, puisqu’il est passé de Perse en Chine et que la Sérinde était la voie de passage entre ces deux empires. Ainsi, les échecs et les dés sont arrivés de l’ouest via le bassin du Tarim. 

Il y avait des spectacles de rue. Un dessin trouvé à Tourfan montre deux acrobates évoluant sur un tréteau. L’un marche sur les mains et porte un masque, l’autre jongle avec un sabre. D’autres dessins provenant du même pays montre des femmes presque nues, simplement vêtues de pagnes, exécutant des danses acrobatiques. 

Pour conclure ce paragraphe, il faut dire un mot de la politesse des Sérindiens, qui devait être exquise. Avant d’ouvrir une lettre, un Khotanais la portait à son front en signe de respect pour l’expéditeur. Les Chinois n’en faisaient pas autant, et c’est pourquoi Xuanzang s’est montré tellement impressionné : « Les mœurs respirent la bienséance et la justice. Les habitants sont d’un naturel doux et respectueux [...]. Leur extérieur est plein d’urbanité ». S’il n’a pas autant fait l’éloge des Koutchéens, c’est sans doute parce qu’il a moins parlé d’eux. Il a donné une place de premier plan au royaume de Khotan dans son récit. Une petite lettre d’affaire trouvée sur le territoire du Koutchi commence ainsi : « Śilarakite questionne Âryawarme avec une amitié accrue ». C’était le genre de formule de politesse que l’on utilisait. La situation était grave, le dénommé Śilarakite exigeant qu’Âryawarme lui réponde au sujet de certaines transactions : « Je t’ai envoyé une lettre ; tu n’as pas envoyé de réponse ». On sait que les Koutchéens s’adressaient à de hauts dignitaires en les qualifiant de « dieux ». Ils ne pouvaient pas choisir de terme plus respectueux. 

Quand un éminent religieux arrivait de l’étranger, le roi sortait de sa ville pour l’accueillir. C’est ainsi que le père de Kumârajîva a été reçu, et Xuanzang a eu droit aux mêmes honneurs : « Le roi vint au-devant de lui avec ses grands officiers et un religieux d’une vertu éminente nommé Mokshagupta. Les autres religieux, au nombre de plusieurs mille, s’étaient arrêtés au-dehors de la porte orientale de la ville, et là ils avaient établi une longue tente, formée de draperies flottantes, sous laquelle ils promenaient la statue (du Bouddha) aux sons des instruments de musique. Quand le maître de la Loi (Xuanzang) fut arrivé, les hommes vertueux (les religieux) se levèrent et lui adressèrent des paroles affectueuses. Après quoi, chacun revint s’asseoir à sa place. Ils ordonnèrent à un religieux d’apporter une corbeille de fleurs fraîchement écloses et de la remettre au maître de la Loi. Celui-ci, l’ayant reçue, s’avança en face du Bouddha, répandit des fleurs et fit de profondes salutations. Lorsqu’il eut fini, il alla s’asseoir au-dessous de Mokshagupta. Après un instant de repos, il offrit de nouveau des fleurs ; l’oblation des fleurs terminée, il offrit du jus de raisins. Dans le premier couvent, il reçut des fleurs et du vin ». On remarque le goût des Koutchéens pour les fleurs. Il fallait accepter ces honneurs : le lendemain, Xuanzang vexera le roi en refusant de manger un certain type d’aliment. Il devra lui expliquer que sa consommation lui était interdite par le Mahâyâna. 

Le Koutchi n’a pas toujours bien accueilli ses visiteurs. Le moine chinois Faxian, qui séjourna deux mois dans un pays appelé le Wuyi, sans doute identique au Koutchi, nota : « La population ne pratique pas la politesse ; ils traitent les étrangers sans aucun égard ». Cela se comprend, car le général Lü Guang avait envahi le Koutchi 17 ans plus tôt et Faxian était son compatriote. Vingt ans après son passage, en 424, le moine Dharmamitra, qui venait du Cachemire et se rendait en Chine, reçut un accueil royal. 

 

 

Grotte 85, Mogao - groupe de musiciens

 

 

8.La musique et la danse. 

C’est surtout dans le domaine de la musique que les Tokhariens, et particulièrement les Koutchéens, ont montré leur génie. « Les habitants de ce pays effacent ceux des autres royaumes par leur talent à la flûte et au luth », écrit Xuanzang. Leur musique était célèbre de Samarcande à Chang’an, et son influence a profondément modifié la musique chinoise. Elle a même engendré un nouveau genre littéraire, le ci, ou poème à chanter. Des airs venus d’Asie centrale, notamment du Koutchi, mais aussi des chansons populaires de Chine du Sud, sont devenus à la mode à Chang’an, et il a fallu inventer des règles de versification pour faire correspondre les poèmes à ces airs. A chacun d’entre eux, il correspondait un modèle prosodique. L’une des plus grandes poétesses de la Chine, Li Qingzhao (1084-1141), s’y est illustrée. Pourtant, cette musique n’a pas survécu à l’arrivée des Ouighours. On peut en trouver de lointains souvenirs dans la musique de cour coréenne. 

C’est surtout à l’époque des Tang que l’influence s’est produite, mais au Gansu, il s’était formé un mélange de musique chinoise et koutchéenne dès l’époque des Liang occidentaux (400-431). A la cour des Tang, il y avait un grand nombre de musiciens koutchéens, dont certains ont laissé leurs noms, comme celui que les Chinois appelaient Bai Mingda. Leur talent leur permettait de reproduire un air entendu une seule fois. En fait, les musiciens et les danseurs célèbres étaient presque tous étrangers. Les cabarets de Chang’an étaient également remplis de musiciennes et de courtisanes (ces deux termes étant souvent synonymes) tokhariennes ou sogdiennes. Les messieurs chinois venaient admirer ces belles Occidentales, les écouter jouer de leurs instruments ou les regarder danser. C’était, paraît-il, les femmes aux yeux bleu-vert qui avaient le plus de succès. 

Les Koutchéens utilisaient le luth à quatre cordes et au manche recourbé, qui était leur grande spécialité, la flûte traversière ou à bec, le hautbois, la harpe et différents tambours. Il y avait des orchestres divisés en trois sections, les percussions, les cordes et les instruments à vent. Les pièces de musique comprenaient trois parties, le mode étant donné par la hauteur des instruments à vent durant le prélude. Pour les Chinois, les Koutchéens avaient un grand sens du rythme. 

Pour autant qu’on puisse en juger d’après les fresques de Kyzyl, les Koutchéens avaient emprunté des danses à l’Inde. On retrouve le balancement des hanches, les positions des mains ou le mouvement des yeux qui les caractérisent. Il y avait aussi une danse originaire de Samarcande, très courante, et que les Koutchéens ont développée. Elle était appelée xuxuan par les Chinois. Les danseuses tournaient sur un pied, changeant de temps en temps de sens, avec des souples ondulations du corps et en faisant flotter leurs longs cheveux, leurs manches et des écharpes de gaze. Les poètes chinois les ont souvent décrites : 

 

Tournoyante fille des steppes (l’expression est incorrecte) 
Cœur en accord avec le luth, mains suivant le tambourin,
A l’unisson des deux instruments, ses manches se dressent. 
Vive comme tourbillon de neige dans la tourmente, 
Ondoyante comme ardoise au vent d’automne, 
Tour à gauche, pirouette à droite, infatigable, elle danse.

 

 Les ballets étaient également connus. Ils pouvaient être joyeux et bondissants, comme la danse du lion. Sur une magnifique boîte conservée au Musée national de Tokyo, on voit un ballet de danseurs masqués, portant divers déguisements. Ils sont suivis par les musiciens. Un homme frappe avec deux baguettes un gros tambour que portent deux garçons, un autre tient sa harpe sous le bras. Parfois, les musiciens arrivaient à jouer tout en dansant. Il est probable que ces danses endiablées, où les mouvements des jambes étaient très vifs, aient été spécifiquement tokhariens. 

 

 

9.La littérature. 

Selon un observateur allemand, Martin Hartmann, en 1908, les gens de Yarkand disaient que ceux de Koutcha « ont un parler extraordinairement pur ; ils parlent en vers ; il y a dans leur langage beaucoup de choses que nous ne comprenons pas ». A cette époque, et depuis le début du deuxième millénaire, c’était le ouighour qui était parlé à Koutcha. Cependant, les gens de Yarkand étaient également des Ouighours, et l’on se demande pourquoi ils n’étaient pas d’aussi bons poètes que les gens de Koutcha. La réponse la plus naturelle qui vient à l’esprit est que ces derniers avaient hérité leur art du langage des anciens Koutchéens. De même, au début du vingtième siècle, les Ouighours de Koutcha étaient réputés dans tout le bassin du Tarim pour leur talent musical. Leur musique ne provenait pas de celle des Koutchéens, mais ils avaient hérité une culture de la musique qui était koutchéenne. 

De la littérature tokharienne non bouddhique, il ne reste qu’une seule œuvre, un poème d’amour koutchéen. En fait, seulement deux strophes ont été conservées. En voici une traduction. Un mot de signification inconnue, que l’on n’est même pas sûr de pouvoir lire correctement, a été remplacé par un point d’interrogation :

 

D’être vivant appelé humain, personne ne m’a été plus cher que toi, personne ne me sera plus cher que toi. L’amour de toi, le contentement de toi sont le souffle de la vie. Cela ne doit pas diminuer la vie durant. 

Ainsi, je pensais : avec une unique femme aimée, je vivrai correctement la vie durant, sans tromperies, sans ? . Le dieu Karma seul a su que ceci était ma pensée. C’est pourquoi il a créé la discorde, il a déchiré mon cœur qui t’appartenait. Il t’a emmenée au loin, il m’a tiré à part, il m’a produit un lot de toutes les souffrances. Il m’a privé de ton réconfort. 

 

Il y a des subtilités que la langue française ne peut pas rendre. Ainsi, le mot ârtañye, traduit ici par « contentement », est proche de « amour » (larauñe). 

On peut dire que la quasi-totalité de la littérature tokharienne a été perdue. Quand on aborde l’étude des Indo-Européens, il faut abandonner notre habitude de lier la littérature à l’écriture. La littérature de ces peuples était essentiellement orale, les textes, toujours versifiés, étant appris par cœur. C’était ainsi que se transmettait toute forme de savoir. On sait, par exemple, que les tribus germaniques mettaient leur histoire en vers. A nous qui avons l’habitude de tout noter, par crainte de l’oubli, il est très difficile d’imaginer ce que les anciens Indo-Européens étaient capables de retenir : certains mémorisaient le contenu de bibliothèques entières. 

Rien ne prouve l’existence des conteurs professionnels chez les Tokhariens, mais on peut la tenir pour absolument certaine. Elle est attestée dans les deux civilisations qui encadraient le monde tokharien, celle des Iraniens et des Chinois. Sous la dynastie des Song du Nord, qui a régné en Chine de 960 à 1127, l’actuelle ville de Kaifeng comprenait des quartiers d’amusements. Ils étaient de sortes de grands marchés couverts où se produisaient des marionnettistes, des acrobates, des chanteurs ou des conteurs. Ces derniers étaient spécialisés : certains racontaient des histoires comiques, d’autres des histoires de fantômes et de démons ou des pages de l’histoire de la Chine. Ces conteurs publics ont probablement existé dès la dynastie des Tang. 

Il est sûr qu’une partie ou que la totalité des conteurs chantaient, la poésie étant fille du chant. Dans la Grèce antique, il y avait les aèdes, qui chantaient, et les rhapsodes, qui déclamaient au son de la musique. Ce ne doit pas être par hasard que les Koutchéens étaient à la fois d’incomparables musiciens et d’excellents poètes. 

Les missionnaires bouddhiques ont apporté dans le bassin du Tarim une nouvelle forme de littérature, qui faisait alterner dans un même texte des passages en prose parlée et en vers chantés. Leurs thèmes étaient tirés des légendes bouddhiques, notamment des récits des vies antérieures du Bouddha, les jâtaka. Ces histoires étaient composées et récitées par des moines ; elles visaient un auditoire populaire. Pour mieux frapper les esprits, à mesure que l’intrigue se déroulait, les conteurs montraient des peintures illustrant certaines scènes. Cette coutume existe encore aujourd’hui en Inde, au Bengale et au Rajasthan. Elle est attestée de manière indirecte au Koutchi. Sur les parois des grottes de Kyzyl, il y a des peintures représentant des scènes de la vie du Bouddha ou des légendes bouddhiques. Elles sont accompagnées de légendes du type : « Ici, l’Omniscient (c’est-à-dire le Bouddha), le maître, enseigne la Loi à la jeune fille Mallikâ ». Dans des manuscrits koutchéens qui étaient des transcriptions de récits de conteurs, on trouve des phrases commençant de même par « ici ». 

Ce genre littéraire est passé en Chine, où il est connu sous le nom de bianwen « texte de transformation ». Les textes connus occupent une période allant du septième au dixième siècle. Ils eurent un tel succès que l’on composa des textes, sur le même modèle, qui n’avaient plus de rapport avec le bouddhisme. Leur influence sur la littérature populaire chinoise a été profonde. La coutume de montrer aux auditeurs des peintures a survécu jusqu’au vingtième siècle. 

Les récits bouddhiques pouvaient être amplifiés en de véritables opéras, avec un narrateur et des danseurs qui jouaient certaines scènes. Il est difficile de dire si les manuscrits tokhariens sont des « livrets » de tels opéras ou s’ils sont seulement des récits de conteurs qui ont été notés, puisqu’il n’existait pas de frontière entre les deux genres. Dans tous les cas, de la musique était jouée, et la prosodie, voire le déroulement de l’intrigue, dépendait des airs choisis. Sur les « livrets », on indiquait les airs qui devaient être exécutés. Certains de leurs noms étaient tokhariens, comme yuk « cheval » ou yäl « gazelle » dans des œuvres agnéennes, d’autres étaient sanskrits, mais c’était toujours de la musique tokharienne. Ainsi, un air joué par les Agnéens s’appelait ârśi nishkramân. Son nom était sanskrit, mais l’adjectif ârśi « blanc » montre qu’il provenait du Koutchi. Ce genre de littérature, d’origine indienne, a ainsi pris une coloration tokharienne. 

Plusieurs passages d'un drame consacré au roi Aranemi, qui était le Bouddha durant l'une de ses vies antérieures, ont été trouvés. Une photographie d'un fragment de manuscrit se trouve ci-dessus. Sur cette légende indienne (un jâtaka), un auteur tokharien a composé une histoire dont la seule lecture permet déjà de sentir la force dramatique. Représenté sur scène, elle devait certainement empoigner les spectateurs. Elle donne une idée du génie littéraire des Tokhariens. 

Nous en donnons ici deux extraits, correspondant à deux feuilles de papier. Elles ne se suivent malheureusement pas et elles sont déchirées, d’où les lacunes du texte. Une indication d’airs, présente dans le texte koutchéen, a été mise entre parenthèse. 

 

Ayant flatté ses savants disciples de différentes manières, il leur dit : « Chers fils, ceci est mon mot personnel pour vous ». Le brahmane Kapilavarna dit : « Que le maître parle avec confiance ». (Selon l’air nishkramân). « Le roi est un idiot, il a complètement oublié son propre nom, Aranemi. Il m’a maltraité, il m’a banni hors de mon pays, devant l’assemblée. Pour un homme sage, mieux vaut s’attacher à la mort que de ne pas détourner la honte. Ce soi-disant roi m’a maltraité, et comment supporterai-je ceci ? ». Les disciples disent : « Maître, que devons-nous faire à ce sujet ? ». Le brahmane dit : « Je vous demande de vous mettre en route. Du roi Aranemi, le dénommé Uttara est le fils bien-aimé, aussi cher pour lui que sa propre vie. Mais le roi, par aspiration à la dignité de Bouddha ... vous donne le prince Uttara. Je ferai voir les souffrances manifestes du prince Uttara. Si vous réalisez ce souhait pour moi, alors vous obtiendrez l’excellence par moi, à la manière d’un livre sacré ». Les brahmanes disent : « Comment ordonne le maître ... ? ». Là-dessus, ces brahmanes, allant de place en place, arrivèrent au pays du roi Aranemi. Etant entrés dans cette cité, ils se dirent les uns aux autres : « Bien ! Bien ! Qui fera connaître notre venue au grand roi ? ». Ici, ayant vu les brahmanes, la portière entra dans le palais et dit respectueusement au roi : « Sire, des brahmanes étrangers se tiennent dehors. Ils cherchent à voir le Seigneur ». Le roi dit : « Conduis-les rapidement ici. Ils sont pour moi des faiseurs de bien ». Ici, les brahmanes, après être entrés dans le palais, rendent tous hommage au roi en levant haut la main. Ici, le roi Aranemi, après s’être levé à la rencontre des brahmanes, les fit asseoir sur un siège à la manière des maîtres. 

 

Seuls les maîtres, semble-t-il, s’asseyaient sur des sièges. Pour les personnes de rang inférieur, il y avait des banquettes, dont nous parlerons plus loin. 

A ce texte, il ne manque que quelques mots. L’extrait suivant est largement mutilé en son milieu. De plus, certains termes sont de signification incertaine ; ils sont signalés par des points d’interrogation. 

Le prince Uttara a été informé qu’il allait être donné aux brahmanes, et il se doutait qu’ils avaient de mauvaises intentions. Le roi s’en doutait peut-être lui aussi, mais il ne pouvait rien refuser de ce qui lui était demandé : 

 

Il l’appelait d’une voix enrouée (?) avec amour, sans interruption. Là-dessus, le prince Uttara a saisi sa mère, la reine, par la joue. Il lui dit : « Mère chérie, dis à père de ne pas me donner à ces démons ». Ici, par affection ... du roi Aranemi, à cause de la douleur, la transpiration ... tout le corps, ... implorant (?). Il dit au prince Uttara : « Mon chéri, ce sont des hommes, pas des yaksha. Tu n’as pas peur ... ». Les brahmanes disent : « Grand roi, ... changer d’idée ... 

 

Nous laissons de côté quelques bribes de phrases. Un nouvel air de musique, qui s’appelle tarunadivâkar, doit être joué : 

 

Les brahmanes, tirant le prince Uttara par les deux bras, sortirent du palais. Ici, Uttara ... voyant ... se lamenta avec sa petite langue enflée : « Seigneur et père, enlève-moi donc à ces démons ! Alors même que tu es vivant, ils sont en train de me dévorer ». Ayant entendu cela, le roi Aranemi défaillit et il tomba par terre. Ici, une grande plainte fut entendue. Ici, maintenant, invectivant le prince Uttara par de dures paroles, les brahmanes lui disent : « Va ! va ! fils vulgaire, tu es maintenant arrivé dans nos mains, tu ne peux plus voir ton père ». Là-dessus, les brahmanes, allant de place en place ... 

 

Le texte exprime la défaillance du roi Aranemi de cette manière : « la bile du roi Aranemi le secoua », où le terme pit « bile » est emprunté au sanskrit. 

 

 

10.L’architecture et l’habillement. 

Nous abordons un domaine où l’influence iranienne et indienne était importante. De nombreuses ruines de l’époque tokharienne subsistent, mais il s’agit surtout d’édifices religieux. Il n’est pas dans notre propos de faire une description de ces monuments. Seuls les principes généraux de l’architecture laïque seront exposés. 

Les palais koutchéens étaient réputés pour leur beauté et pour l’or, l’argent et le jade qui les décoraient. Certaines peintures de Kyzyl montrent des salles au plafond soutenu par des colonnes au chapiteau à double volute, au-dessus desquelles se trouvent des galeries pourvues de fenêtres arquées ou des balcons (un terme koutchéen, skâk, se traduit peut-être par « balcon »). Un décor caractéristique du Koutchi est le motif en quadrillage de petites perles, mais on trouve aussi des croisillons, des fleurs cruciformes ou des rinceaux de feuillages. Les boiseries étaient également peintes de différentes couleurs. 

Généralement, les toits des maisons étaient plats et ils n’étaient pas prévus pour supporter les grandes pluies, très rares dans le bassin du Tarim. Wang Yande, un ambassadeur chinois qui est passé à Tourfan en 982, a rapporté que « à peine cinq pouces de pluies suffisent à démolir les habitations ». Sans doute les toits étaient-ils constitués de plusieurs couches de bottes ou de nattes de roseaux recouvertes de terre et soutenues par des poutres et des solives. Dans cette région, les roseaux peuvent atteindre de grandes dimensions. Wang Yande a aussi écrit qu’un enduit blanc était appliqué sur les maisons. 

Au Koutchi également, les murs étaient blancs, tandis que les encadrements des portes et des fenêtres étaient peints en rouge. Les portes étaient surmontées d’un lourd linteau qui débordait du mur. Si la maison était bâtie sur une plate-forme, la porte était précédée d’un petit escalier. Un hameau de la région du Kuruk Tagh a été fouillé en 1939 par le Suédois F. Bergman. C’est le seul exemple connu de village du nord du bassin du Tarim. Il était constitué de petites maisons aux murs de broussailles entremêlées et recouvertes de terre. Les restes d’un toit de roseaux subsistaient, ainsi qu’un foyer constitué de trois pierres. Ce hameau était entouré d’un rempart de terre très bas. On se demande s’il n’avait été surmonté d’une palissade, qui a par la suite disparu. 

Pour mieux connaître les maisons, il faut se rendre au sud du bassin du Tarim. C’est sur le site de Niya que les habitations ont été le mieux conservées. De longues poutres de peuplier servaient de fondations. On y plantait verticalement d’autres poutres, on plaçait entre elles des branches de tamaris, arbuste abondant, ou un cannage de roseaux, et l’on recouvrait de terre les deux côtés du mur. Il pouvait être badigeonné et décoré de divers motifs. Les piliers et les éléments de charpente qui restaient visibles, ainsi que les encadrements des portes, étaient toujours joliment sculptés. Le plus souvent, dans chaque pièce, la lumière venait d’une ouverture pratiquée sur le toit. Dans les cloisons, il pouvait y avoir des baies fermées par des écrans de bois ajourés, dont de nombreux fragments ont été retrouvés. Quand il y avait des fenêtres, elles étaient aussi fermées par de tels écrans. Des fragments ont aussi été trouvés au nord du bassin du Tarim. 

Les plus petites maisons ne comprenaient qu’une pièce tandis que les plus grandes en comportaient jusqu'à huit ou neuf, ordonnées autour d’un couloir central. La pièce principale comportait un foyer. Il s’agissait d’une plate-forme s’élevant de 20 à 25 cm au-dessus du sol et encadrée par quatre poteaux montant jusqu’au plafond, où se trouvait une ouverture. Ce devait être dans ces grandes pièces que les visiteurs étaient reçus. Ils s’asseyaient en tailleur sur des banquettes de terre battue hautes d’un peu moins d’un mètre, qui couraient le long des murs et qui étaient recouvertes de tapis et de coussins. Les tapis sont des éléments d’ameublement venus du monde des steppes, qui étaient sûrement très courants dans le bassin du Tarim. 

Il y avait aussi des banquettes de terre dans les autres pièces. On s’y asseyait et l’on y dormait en plaçant sans doute un matelas. Les Tokhariens fabriquaient des couvertures en laine d’excellente qualité, qui étaient exportées en Chine dès l’époque des Han. Des banquettes en bois, comme il en existe encore aujourd’hui dans le bassin du Tarim, ont sans doute été utilisées, mais elles n’ont pas été retrouvées. Le mobilier était réduit. Les affaires étaient rangées dans des coffres de bois montés sur des pieds. Il y avait aussi de jolies chaises aux pieds sculptés en forme de sabots. Les tables étaient probablement rares ou inexistantes. Les maisons étaient probablement chauffées par des systèmes semblables aux braseros, disposées dans des ouvrages en terre moulée ressemblant à des cheminées, mais dépourvus de conduit d’évacuation pour la fumée. En général, quand il y avait une « cheminée » contre un mur, des banquettes couraient le long des autres murs. De telles « cheminées » se trouvaient dans toutes les grottes de Kyzyl qui servaient d’habitations aux moines. 

Aurel Stein a identifié des cuisines dans certaines maisons de Niya. L’une d’elles comportait un four circulaire de 70 cm de diamètre, qui devait être un four à pain. L’eau était conservée dans des amphores en argile rouge, d’une trentaine de centimètres de haut, plantées dans le sol. Les céramiques trouvées à Niya sont rares et de piètre qualité. Il y avait quelques écuelles, une cruche, de petites coupelles qui servaient de lampes à huile. Une vaisselle en bois était utilisée. La rareté des trouvailles s’explique aisément. Confrontés à la désertification, les habitants étaient partis en prenant ce qu’ils avaient de plus précieux. A Loulan, des maisons abandonnées ont été occupées par des troupeaux qui y ont laissé leur crottin : des bergers ont continué à vivre, humblement, dans cette région. 

Des clés en bois et des mécanismes de serrure ont été trouvés sur le site de Niya. Il semble cependant qu’une partie des portes ne comportaient pas de battant. Sans doute estimait-on que dans ces maisons, il n’y avait rien d’intéressant à voler. Par ailleurs, ce site, qui se trouvait au sud du bassin du Tarim, assez en profondeur dans le désert, semblait être hors de portée des nomades. 

Les Tokhariens avaient à leur disposition une grande gamme de produits de beauté et de cosmétiques ; les textes koutchéens mentionnent des produits odoriférants comme l’allagoche, le patchouli, le nard et le benjoin. Certaines céramiques trouvées à Niya devaient être des pots à parfums. Il semble que les danseuses sérindiennes, en particulier koutchéennes, aient apporté en Chine la mode des marques de beauté. Il s’agissait de petits dessins effectués sur le visage avec du carmin : des croissants de lune, des motifs en cœur, en triangle, etc. Le décolleté profond des Chinoises de l’époque des Tang s’explique sans doute aussi par une influence koutchéenne. Les dames du Koutchi laissaient toujours visible une partie de leur poitrine, si ce n’était pas la totalité. 

On connaît surtout les vêtements des nobles et des personnes assez riches pour faire des dons aux fondations bouddhiques et obtenir un « portrait ». En fait, leurs visages ne sont pas reconnaissables, mais on peut les identifier parce que leurs noms sont indiqués. Les hommes portent des vestes pourvues de revers. Celui de gauche est parfois plus petit que celui de droite ; il peut aussi être inexistant. Ces vestes sont attachées par des ceinturons souvent ornés de médaillons. Leurs pantalons, assez larges, sont toujours rentrés dans des bottes, selon un usage immémorial en Asie centrale. Certaines femmes portent des vestes à revers qui ne diffère guère de celles des hommes, mais qui sont plus courtes, ainsi que des jupes longues et amples. Comme toutes les femmes représentées en peinture ont de telles jupes, il est impossible de savoir avec quoi elles se chaussaient. Les femmes ont également des corsages au décolleté plus ou moins grand, qui peut découvrir complètement leurs seins. Leurs avant-bras peuvent être nus. Les hommes et les femmes ont deux mèches de cheveux coupées court au-dessus du front, qui s’écartent d’une raie centrale. Il semble que les chevelures des femmes étaient longues et qu’elles les attachaient fréquemment sur la nuque avec un précieux voile dont les deux pans flottaient sur les épaules et couvraient une partie du dos. On voit peu de bijoux sur les peintures koutchéennes. 

 

 

 

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